Aller à la navigation principale Aller au contenu Aller au pied de page

Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès

Article 1074.2 du Code civil du Québec: un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès

Par François G. Cellier


Véritable talon d’Achille pour plusieurs syndicats de copropriétaires, l’article 1074.2 du Code civil du Québec pourrait déstabiliser leur équilibre financier.

Et pour cause, car l’adoption du projet de loi 141 (le 13 juin 2018) – qui a revisité la loi sur l’assurance en copropriété – a passablement changé les règles touchant la responsabilité civile. Depuis ce temps, lorsqu’un sinistre trouve sa source dans une partie privative, l’assureur du copropriétaire concerné peut refuser de payer la franchise du syndicat. Il pourrait estimer ne pas avoir à le faire, à moins que la faute de son client puisse être démontrée, en vertu de l’article 1074.2.

Or, bien souvent, prouver cette faute suppose d’aller au tribunal. Toute somme équivalente ou inférieure à 15 000 $ peut être recouvrée à la Cour du Québec – Division des petites créances, auquel cas les frais judiciaires seront négligeables. Mais lorsque le montant excède 15 000 $, et jusqu’à concurrence de 85 000 $, il faut s’adresser à la Cour du Québec. Dès lors, les sommes engagées en procédures judiciaires pourraient être substantielles. Il faut savoir que toute personne morale, incluant les syndicats de copropriétaires, doit y être représentée par un avocat.

Certains assureurs sont rébarbatifs à l’idée d’aller au tribunal et finissent par payer, en tout ou en partie. D’autres ne l’entendent pas ainsi et défendent leur point de vue. « En règle générale, lorsque le syndicat doit prouver la faute du copropriétaire devant un juge, il affronte un vent de face. Les chances d’obtenir gain de cause dépendent de sa capacité à en faire la démonstration. Il n’est pas toujours évident d’y parvenir, en raison des particularités propres à certains sinistres », lance Maxime Laflamme-Leblond, avocat en droit de la copropriété au cabinet LJT Avocats.

TROIS RÉGIMES JURIDIQUES

Trois régimes de droit s’appliquent au regard des réclamations de la franchise à un copropriétaire, en fonction de la date à laquelle un sinistre est survenu. Advenant qu’il se soit produit avant l’entrée en vigueur du projet de loi 141, le copropriétaire ou son assureur devrait payer. En principe du moins. Mais depuis le 13 juin 2018, la mise en œuvre de l’article 1074.2 a tout changé, car un syndicat doit prouver « un préjudice causé par sa faute ». On parle ici de la faute d’un copropriétaire.

Comme le disait l’avocat émérite Yves Joli-Coeur dans un numéro précédent du magazine Condoliaison : « Tout cela a donné lieu à un concours de sémantique, car les assureurs estimaient que l’expression causé par sa faute était plus restrictive qu’être tenu responsable. » Dès lors, ils pouvaient refuser de rembourser la franchise d’un syndicat.

Cela dit, l’adoption du projet de loi 41, le 17 mars 2020, est venue modifier l’article 1074.2. « La faute doit toujours être démontrée, mais un copropriétaire peut aussi être tenu de réparer le préjudice causé par le fait ou la faute d’une autre personne, ou par le fait des biens qu’il a sous sa garde », expose Maxime Laflamme-Leblond. Ces biens peuvent être un chauffe-eau, un lave-linge ou une baignoire, pour ne nommer que ceux-là.

PROCÉDURES POUR RÉCLAMER LA FRANCHISE

Un syndicat qui réclame le remboursement du paiement de sa franchise à un copropriétaire doit, préalablement, transmettre une mise en demeure au copropriétaire ciblé. Si le sinistre est survenu avant le 13 juin 2018, il se pourrait qu’un assureur plaide le droit actuel pour se soustraire à ses obligations. « Mais comme l’article 1074.2 n’existait pas, au moment du sinistre, obtenir un remboursement devrait être relativement simple », fait savoir Maxime Laflamme-Leblond.

Pour tout sinistre survenu entre le 13 juin 2018 et le 17 mars 2020, les choses risquent de se corser, raison pour laquelle une mise en demeure devra spécifier (en détail) la faute commise par un copropri étaire. Dans certaines circonstances, il sera difficile d’argumenter cette faute avec conviction. Cela se produit, notamment, lors d’un événement soudain qu’il était impossible d’anticiper. À titre d’exemple, un lave-linge devient dysfonctionnel à la suite d’un vice insoupçonné. En revanche, si ce même lave-linge montrait les signes avant-coureurs d’une anomalie, notamment en raison de boyaux mal fixés, d’une manipulation ou d’un entretien déficients, il pourrait dès lors y avoir matière à réclamer.

POUR RÉCLAMER LE MONTANT DE SA FRANCHISE À UN COPROPRIÉTAIRE, UN SYNDICAT A TROIS OPTIONS

Si le coût des travaux pour faire réparer les dommages est supérieur à la somme de la franchise, le syndicat devra préalablement la payer de sa poche, afin d’obtenir l’indemnisation adéquate de son assureur. Il pourra ensuite réclamer le montant de la franchise au copropriétaire concerné.

Si le coût des travaux pour faire réparer les dommages est inférieur au montant de la franchise, le syndicat doit procéder aux travaux, après quoi il peut transmettre la facture au copropriétaire concerné.

Si le syndicat ne réclame pas d’indemnités à son assureur, il ne pourra pas réclamer de franchise à un copropriétaire.

Mais dans le cas d’un sinistre survenu après le 17 mars 2020, le ciel pourrait s’éclaircir, en vertu d’une responsabilité du fait ou de la faute d’un bien ou d’une personne qu’un copropriétaire avait sous sa garde. L’exercice serait d’autant plus aisé, grâce à l’effet combiné des articles 1074.2 et 1465 du Code civil du Québec. « Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, même si l’assureur d’un copropriétaire dit non, rien n’empêche un syndicat de poursuivre ce dernier à titre personnel, en raison d’un lien de droit qui existe entre un copropriétaire et son syndicat », rappelle Maxime Laflamme-Leblond. En pareille situation, le fardeau de la preuve serait inversé, comme c’était le cas avant juin 2018, c’est-à-dire qu’il reviendrait au copropriétaire de prouver qu’il n’a commis aucune faute.


ACHARNEMENT?

Il reste que même si l’article 1074.2 a été modifié par le projet de loi 41, plusieurs assureurs continuent d’interpréter sa version précédente. « À mon sens, la modification apportée n’a pas particulièrement précisé les règles applicables, parce qu’elle a maintenu la notion de faute dans le portrait », déplore Maxime Laflamme-Leblond. Résultat : bien souvent, les assureurs continuent de plaider l’absence de faute, et mettent au défi les syndicats d’intenter une poursuite judiciaire.

Question : est-ce qu’une poursuite en vaut la chandelle, advenant qu’une réclamation s’élève à plus de 15 000 $, mais qu’elle n’excède pas les 35 000 $? Un tel scénario peut être difficile à trancher, quoi-que les frais d’avocats fassent en sorte qu’un syndicat risquerait d’être perdant, car il recevrait beaucoup moins que la somme escomptée. « Par conséquent, pour un montant variant de 18 000 $ à 20 000 $, mieux vaut le ramener à 15 000 $ et opter pour un recours aux petites créances », fait valoir Maxime Laflamme-Leblond.

Mais une fois le seuil des 35 000 $ franchi, il vaut généralement la peine de s’adresser à la Cour du Québec, même si les frais d’avocats grugeront partiellement cette somme. Il n’en demeure pas moins que l’objectif ultime consistera à faire la preuve qu’un copropriétaire est fautif. Si tel est le cas, un juge se penchera sur le montant réclamé, à savoir s’il est payable en tout ou en partie. Une dépréciation pourrait s’appliquer, en fonction de l’âge des composants au moment du sinistre. À titre d’exemple, un tapis qui avait 30 ans ne serait pas remboursé pour sa pleine valeur.

CONTRE-OFFRE

Étant donné que l’adoption du projet de loi 141 est relativement récente, seulement quelques décisions impliquant l’article 1074.2 ont été publiées. Par ailleurs, précisons que le tiers des dossiers soumis au tribunal a été réglé hors cour. « Mieux vaut accepter 50 % du montant réclamé que d’aller en cour, quitte à faire une contre-offre pour aller chercher un peu plus », d’ajouter Maxime Laflamme-Leblond. Après tout, comme le dit un vieil adage : un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.

Condoliaison Vol.22 No1