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Majorité plafonnée - petites copropriétés

Résoudre le casse-tête de la gouvernance dans les petites copropriétés

Chronique juridique

Par Adrien Vallat 

On décrit parfois la démocratie comme étant la tyrannie de la majorité.

LA FORMULE ILLUSTRE le fait que la minorité est obligée d’accepter les décisions qui ont été prises par le plus grand nombre, sans égard à leurs opinions. C’est aussi le cas en copropriété, même si des majorités renforcées sont prévues au Code civil du Québec pour les décisions les plus importantes du syndicat. Cependant, on sait qu’en copropriété, le nombre de voix n’est pas calculé en fonction du nombre de personnes, mais bien des valeurs relatives de chaque fraction. Il arrive donc parfois qu’une seule personne possède la majorité des voix. Dans ce cas, ce n’est plus la tyrannie de la majorité, mais bien celle d’un individu que les autres copropriétaires peuvent subir. L’assemblée finit par être contrôlée par une personne et les autres copropriétaires ne peuvent que croiser les doigts en espérant que ce copropriétaire majoritaire a les intérêts du syndicat à cœur.

UN GARDE-FOU EFFICACE

Avant la réforme du Code civil du Québec de 1994, ce problème était souvent résolu à l’intérieur même des déclarations de copropriété où cette situation pouvait se présenter. Bien souvent, on haussait les majorités nécessaires pour éviter justement qu’un seul copropriétaire puisse décider seul.

Depuis la réforme, l’article 1101 du Code civil du Québec invalide « toute stipulation de la déclaration de copropriété qui modifie le nombre de voix requis pour prendre une décision pré- vue par le [chapitre sur la copropriété divise d’un immeuble] ». Retour à la case départ? Pas tout à fait.

En effet, le législateur a prévu cette situation et ajouté un article pour éviter que les décisions du syndicat soient prises par un individu. L’article 1091 du Code civil du Québec prévoit, dans les copropriétés de moins de cinq fractions, que lorsqu’un copropriétaire détient la majorité des voix, ce nombre est réduit en assemblée à la somme des voix des autres copropriétaires présents ou représentés. Concrètement, au moment de l’assemblée, aucun copropriétaire ne pourra détenir la majorité des voix. Sans ce garde-fou, la situation serait courante dans les petites copropriétés de deux ou trois unités en particulier. Attention, cela ne signifie pas que les quotes-parts sont modifiées. Le calcul des charges communes se fait toujours en fonction des valeurs relatives initiales, l’ajustement n’est fait que pour calculer les voix au cours de l’assemblée.

UNE FAILLE DANS LA RÈGLE?

En temps normal, l’application de l’article 1091 est relativement simple et permet donc de gérer efficacement la plupart des assemblées dans les petites copropriétés et d’éviter les problèmes. Les choses se corsent lorsque la réduction des voix mène à des impasses en assemblée, sou- vent au détriment de l’immeuble. Quand les copropriétaires ne s’entendent pas sur la direction à prendre, les travaux à effectuer ou les augmentations de charges communes, l’absence de majorité claire peut envenimer la situation. C’est dans ces situations conflictuelles que l’on retrouve généralement les querelles d’interprétation autour de l’article 1091. Par exemple, si une fraction représente plus de la moitié des voix en assemblée, mais qu’elle est la propriété de deux indivisaires (comme des con- joints), faut-il encore ajuster les majorités en assemblée?

La Cour supérieure a rendu un arrêt en 2018 à ce sujet. Dans cette affaire, deux conjoints, copropriétaires indivisaires d’une unité représentant 60 % des droits de vote, ont plaidé que l’article 1091 ne s’appliquait pas à leur situation. En effet, aucun copropriétaire ne possédait la majorité des voix, puisque leur quote-part était divisée en deux. La Cour leur a donné raison, concluant que « en l’espèce, aucun des indivisaires ne détient réellement un nombre de voix qui lui assure le contrôle de l’assemblée des copropriétaires, justifiant la réduction prévue à l’article 1091 C.c.Q. Le fait que les demandeurs soient un couple marié, susceptible de voter de la même manière, ne change pas ce constat ». Selon Me Bruno Bourdelin, avocat au cabinet Therrien Couture Joli-Coeur, « cet arrêt doit être interprété dans les circonstances exceptionnelles de l’affaire et au vu de l’urgence de dénouer l’impasse ». Il ajoute que « les juges ont souligné le caractère très spécifique de la situation, alors que des travaux majeurs sont nécessaires pour
garantir l’intégrité de l’immeuble ».

 

Quand les copropriétaires ne s’entendent pas sur la direction à prendre, les travaux à effectuer ou les augmentations de charges communes, l’absence de majorité claire peut envenimer la situation.

 

Néanmoins, cet arrêt illustre la position inconfortable des copropriétaires minoritaires dans ces situations. En effet, si le défendeur, minoritaire, avait eu un voisin propriétaire unique de son unité, sans indivisaire, l’article 1091 aurait été appliqué sans débat. Au contraire, en présence d’un indivisaire, il ne peut qu’accepter les décisions prises à la majorité par les indivisaires d’une autre unité pour tout le syndicat. Pour le copropriétaire minoritaire, la situation change du tout au tout, sans qu’il ait son mot à dire.

S’agit-il pour autant d’une faille à combler dans la législation? Pas nécessairement, selon Me Bourdelin : «Dans cet arrêt, les indivisaires sont des conjoints et on peut penser que leurs intérêts sont similaires, sinon identiques. Mais on retrouve aussi des situations où les indivisaires sont les héritiers d’une même succession ou des associés dans une compagnie. Dans ces cas-là, il est plus fréquent qu’ils votent différemment».

Plus largement, cette affaire met en lumière les enjeux de gouvernance dans les petites copropriétés. La conservation de l’immeuble est la raison d’être du syndicat et les travaux majeurs devraient être la priorité de tous les copropriétaires pour protéger leur investissement et leur qualité de vie.

Condoliaison Vol.22 No3